C'est le mois des lilas...
Les gens et le lilas
C'est le mois des lilas, des lilas jolis, des lilas fleuris, des lilas fleurant le miel, des lilas couleur de ciel, couleur du ciel à l'heure où les nuages sont encore azurés par la nuit qui s'en va et sont déjà rosés par l'aube qui vient...A la fenêtre grande ouverte, l'ouvrière travaille en chantant et fait assaut de roulades avec le petit serin en cage. Aux fils de fer de la cage, près de l'échaudé, est accroché un brin de lilas. Et de temps en temps, quand ils sont las, l'oiseau vient becqueter une larme d'eau suspendue à la fleur, et la fillette se penche pour respirer une bouffée de la fraîche odeur qui sent le printemps et la campagne...
Hue ho ! dia ! crie le charretier. Et, se baissant, il ramasse sur le pavé une pauvre touffe de lilas qui a roulé dans la poussière. Il la secoue, la trempe à une borne-fontaine et voici que la fleur reprend un instant la vie. Il en pique un pompon derrière l'oreille du limonier, et il mâchonne le brin qui reste, en dilatant ses narines poilues pour humer l'âme des lilas fleuris fleurant le miel...
Plus triste encore que de coutume, la vieille mère, devant ce printemps radieux, songe aux printemps passés, où s'épanouissaient avec les fleurs, les chers enfants qu'elle a perdus. Et elle s'en va là-bas, dans le cimetière plein de verdures éclatantes et de moineaux ; elle s'en va déposer sur tes tombes des bottes énormes de lilas, de lilas mélancoliques, de lilas qui ont la couleur charmante et navrante des robes du demi-deuil.
Jean RICHEPIN